La diffamation civile
Module 5 : Diffamation
Bien qu’il soit largement admis que la sanction pénale pour diffamation n’est plus acceptable dans une société démocratique, il est néanmoins nécessaire de prévoir une sorte de réparation pour ceux qui estiment que leur réputation ou leur honneur a été injustement lésé. Par conséquent, de nombreux pays disposent de lois nationales concernant les plaintes civiles pour diffamation, mais ces lois varient selon les juridictions.
Dans certains pays comme la Zambie, les lois sur la diffamation remontent à l’époque coloniale et sont considérées comme trop restrictives pour la liberté d’expression en limitant la critique des dirigeants ou en instituant des sanctions d’une sévérité disproportionnée.(1)
Si une personne est en mesure de prouver une plainte civile pour diffamation, et que la personne responsable de la déclaration ou de la publication n’est pas en mesure de présenter une défense avec succès, la personne qui a subi un préjudice de réputation a généralement droit à une compensation financière sous forme de dommages civils. Bien que les plaintes civiles en diffamation puissent servir les objectifs prévus de restauration de la réputation ou de l’honneur, elles peuvent être utilisées à mauvais escient et avoir un « effet paralysant » sur la pleine jouissance et l’exercice de la liberté d’expression.
Diffamation utilisée à l’encontre des survivants de la violence fondée sur le sexe
L’affaire de Shailja Patel au Kenya est instructive sur la façon dont la diffamation a été utilisée spécifiquement comme un outil pour réduire au silence les victimes de la violence sexiste. Patel, poète, dramaturge et activiste kenyan de renom, a publiquement accusé un collègue écrivain, Tony Mochama, de harcèlement sexuel lors d’un atelier d’écriture auquel les deux personnes ont participé. Mochama a intenté un procès pour diffamation, affirmant que les allégations étaient fausses et que Patel lui en voulait déjà. En 2019, un juge a condamné Patel à payer des dommages et intérêts de plus de 87 000 dollars, à s’excuser et à ne plus jamais publier de déclarations diffamatoires contre Mochama. Le magistrat a également reproché à Patel de s’être d’abord tournée vers les médias sociaux pour obtenir justice, car elle ne pensait pas que le système judiciaire traiterait son affaire de manière équitable.(2)
La « mise au pilori » en ligne est devenue un recours populaire pour les victimes de la violence sexiste ces dernières années, en particulier dans les pays où le système de justice pénale n’est pas suffisamment fiable pour enquêter équitablement sur leurs crimes, et où les femmes sont souvent blâmées, y compris par la police et les tribunaux, pour leur propre rôle dans la facilitation supposée du crime. Dans certains cas, des « registres » publics ont même été établis sur les auteurs présumés dans le but de mettre en garde les futures victimes potentielles et de sensibiliser à l’omniprésence de ces crimes. De telles allégations sont généralement considérées comme diffamatoires, et les personnes qui créent ou distribuent ces déclarations peuvent être tenues pour responsables.
La meilleure défense contre de telles poursuites est de prouver la véracité des accusations et de les partager dans l’intérêt public. Dans les affaires civiles, la norme de preuve est généralement moins élevée que dans les affaires pénales, puisqu’il suffit de prouver la vérité « selon la prépondérance des probabilités » plutôt que « au-delà de tout doute raisonnable ». Une défense supplémentaire est celle du privilège : « les déclarations faites par une personne qui a l’obligation morale ou juridique de les faire ou qui a un intérêt à les faire à une autre personne qui a un intérêt ou un devoir à les entendre ». Il faudrait pour cela faire valoir que le système de justice pénale ne peut pas offrir une réparation adéquate à la victime, et qu’il est donc nécessaire que le public entende les allégations, bien que la réussite de cet argument risque d’être difficile.(3)