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    Limiter la liberté des médias pour des raisons de sécurité nationale

    Module 9 : Sécurité nationale

    Malgré les dispositions du droit international susmentionnées qui permettent de limiter l’exercice du droit à la liberté d’expression pour des raisons de sécurité nationale, à condition que cela soit explicitement prévu par la loi et que la restriction soit nécessaire et proportionnelle dans une société ouverte et démocratique, dans la pratique, la sécurité nationale est l’un des domaines d’interférence avec la liberté des médias les plus problématiques.

    Une difficulté réside dans la tendance de nombreux gouvernements à supposer qu’il est légitime de freiner tout débat public sur les questions de sécurité nationale.  Pourtant, selon les normes internationales, les expressions ne peuvent être légalement restreintes que si elles menacent de porter un préjudice réel à la sécurité nationale.

    En Afrique du Sud, le projet de loi sur la protection des informations de l’État (connu sous le nom de projet de loi sur le secret) a été ardemment contesté par les médias et la société civile pendant de nombreuses années, car il avait probablement « un effet paralysant sur les médias et [empêchait probablement] de nombreux dénonciateurs de divulguer des informations sensibles ou embarrassantes aux médias ».(1) Le constitutionnaliste Pierre de Vos, a fait valoir que bien qu’il s’agisse d’un effet secondaire du projet de loi, sa véritable intention était de :

    [protéger] les différentes agences et structures de renseignement d’un examen trop minutieux et [veiller] à ce que les contrôles et équilibres constitutionnels ordinaires qui s’appliquent aux autres organes de l’État qui exercent le pouvoir public ne s’appliquent pas aux services de renseignement. 

    Le projet de loi sur le secret est un exemple de la manière dont la législation sur la sécurité nationale peut, à la fois involontairement et intentionnellement, étouffer la liberté des médias.  De même, le régime antiterroriste du Kenya, notamment le projet d’amendement 2018 sur la prévention du terrorisme, a été critiqué pour avoir porté atteinte aux droits de l’homme dans un effort de protection de la sécurité nationale.(2)

    Les principes de Johannesburg

    En 1995, un groupe d’experts internationaux a élaboré les principes de Johannesburg sur la liberté d’expression et la sécurité nationale. (3) Bien que non contraignants, ces principes sont fréquemment cités (notamment par le Rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’expression) comme un résumé progressif des normes dans ce domaine.  Les principes de Johannesburg traitent des circonstances dans lesquelles le droit à la liberté d’expression peut légitimement être limité pour des raisons de sécurité nationale, tout en soulignant l’importance des médias, et de la liberté d’expression et d’information, pour garantir la responsabilité dans le domaine de la sécurité nationale.

    En 2013, un groupe d’organisations de la société civile du monde entier (dont beaucoup ont participé à la rédaction des principes de Johannesburg) a publié une version actualisée connue sous le nom de « Principes de Tshwane ».(4) Les principes de Tshwane stipulent que : (5)

    • Les gouvernements peuvent légitimement retenir des informations dans certains domaines étroitement définis, tels que les plans de défense, le développement des armes, ainsi que les opérations et les sources utilisées par les services de renseignement.
    • Les informations relatives à de graves violations des droits de l’homme ne peuvent être ni classifiées ni retenues.
    • Les personnes qui divulguent des actes répréhensibles ou d’autres informations d’intérêt public (les dénonciateurs et les médias) doivent être protégées contre tout type de représailles, à condition d’avoir agi en toute bonne foi et d’avoir suivi les procédures applicables.
    • Les obligations de divulgation s’appliquent à toutes les entités publiques, y compris le secteur de la sécurité et les services de renseignement.

    Bien que les principes ne constituent pas un droit international contraignant, ils ont été élaborés à l’issue de vastes consultations et font l’objet d’un large consensus ; par exemple, ils ont été accueillis favorablement par les trois experts spéciaux sur la liberté d’expression (pour les Nations unies, l’Organisation des États américains (OEA) et l’Union africaine (UA), ainsi que par l’expert sur la liberté des médias de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

    Notes de bas de page

    1. Pierre de Vos, « Secrecy Bill less about media freedom, more about national security state, » sur Constitutionally Speaking (2012) (accessible en anglais sur : https://constitutionallyspeaking.co.za/secrecy-bill-less-about-media-freedom-more-about-national-security-state/). Retour
    2. Freedom House, « Kenya’s Antiterrorism Strategy Should Prioritize Human Rights, Rule of Law » (2018) (accessible en anglais sur : https://freedomhouse.org/sites/default/files/2020-02/Final_PolicyBriefKenya_11_14_18.pdf). Retour
    3. « Les Principes de Johannesbourg, Sécurité Nationale, Liberté d’Expression et Accès à l’Information, » (1996) (accessible sur : http://hrlibrary.umn.edu/instree/Fjohannesburg.html). Retour
    4. Open Society Justice Initiative, « Understanding the Global Principles on National Security and the Right to Information » (2013) (accessible en anglais sur : https://fas.org/sgp/library/tshwane-und.pdf). Retour