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    Le processus de dérogation en vertu des traités internationaux et régionaux sur les droits de l’homme

    Module 9 : Sécurité nationale

    La plupart des principaux instruments relatifs aux droits de l’homme permettent une dérogation temporaire à certaines obligations en matière de droits de l’homme dans les situations d’urgence nationale.  Par exemple, l’article 4 du PIDCP stipule :

    En cas de danger public exceptionnel menaçant la vie de la nation et dont l’existence est officiellement proclamée, les États parties au présent Pacte peuvent prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte dans la stricte mesure où la situation l’exige, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations découlant du droit international et qu’elles n’entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale.

    L’article 4 énumère ensuite un certain nombre d’articles auxquels il ne peut être dérogé, même en cas d’urgence publique.  Il s’agit notamment du droit de ne pas être réduit en esclavage ou torturé, et du droit à la liberté d’opinion.  Il ne comprend cependant pas l’article 19, le droit à la liberté d’expression.

    Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (CDHNU) a consacré deux de ses observations générales à expliquer en détail le sens de l’article 4 ainsi que la procédure et le champ d’application de la dérogation.  La plus récente d’entre elles, l’Observation générale no 29, peut être considérée comme une interprétation faisant autorité de la dérogation pendant les états d’urgence.  Il y a un certain nombre de points clés à noter, qui peuvent être appliqués de la même manière à d’autres traités sur les droits de l’homme qui prévoient des dérogations :

    • L’état d’urgence doit être proclamé publiquement conformément aux exigences juridiques nationales, et doit également être accompagné d’une notification aux autres États parties et (via le Secrétaire général des Nations unies ou un autre organe qui fait office de secrétariat technique du traité), expliquant pourquoi il est nécessaire.(1)
    • La situation conduisant à une dérogation doit être « un danger public exceptionnel qui menace la vie de la nation ». Selon l’observation générale no 29, le seuil de menace pour « la vie de la nation » est élevé, et le CDHNU s’est montré très critique à l’égard des dérogations qui ont été accordées dans des situations qui semblent ne pas satisfaire aux exigences de l’article 4.
    • Le CDHNU souligne l’importance du principe selon lequel les dérogations doivent être limitées « dans la mesure strictement requise par les exigences de la situation ». Même dans les cas où une dérogation peut être justifiée, il ne doit y avoir de dérogation qu’aux droits strictement requis et seulement dans la mesure nécessaire.

    La CADHP, en revanche, ne contient pas de clause permettant explicitement de déroger en cas d’urgence publique.  Cependant, de nombreux États qui sont néanmoins parties à la CADHP ont adopté des constitutions ou des mesures législatives qui contiennent des clauses dérogatoires, contrairement à la position de la CADHP et de la Commission africaine.(2) Par exemple, l’article 24 de la Déclaration des droits de la Constitution du Kenya stipule que :

    Un droit ou une liberté fondamentale figurant dans la Déclaration des droits ne peut être limité que par la loi, et alors seulement dans la mesure où cette limitation est raisonnable et justifiable dans une société ouverte et démocratique fondée sur la dignité humaine, l’égalité et la liberté 

    Cependant, la Haute Cour du Kenya a décidé que « la protection de la sécurité nationale implique l’obligation pour l’État de ne pas déroger aux droits et libertés fondamentales garantis par la Constitution ».(3)

    L’absence d’une clause dérogatoire dans la CADHP a suscité une controverse parmi les juristes, dont certains soutiennent qu’une clause dérogatoire offre des protections importantes contre les abus de l’État en matière de libertés en cas d’urgence publique,(4) alors que d’autres prétendent que son omission a permis le développement positif des normes en matière de droits de l’homme en Afrique.(5)

    Notes de bas de page

    1. Conseil des droits de l’homme des Nations unies, « Observation générale n° 29, états d’urgence (article 4) », paragraphe 2 (2001) (accessible sur : https://digitallibrary.un.org/record/451555?ln=fr). Retour
    2. Abdi Jibril Ali, « Derogation from Constitutional Rights and Its Implication Under the African Charter on Human and Peoples’ Rights » Law, Democracy & Development, Volume 17(2013) (accessible en anglais sur : https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2399789). Retour
    3. Cour d’appel du Kenya, Demande 628 de 2014 (2015) (accessible en anglais sur : http://kenyalaw.org/caselaw/cases/view/106083/). Retour
    4. Melkamu Aboma Tolera, « Absence of a derogation clause under the African Charter and the position of the African Commission » (2013) (accessible en anglais sur : https://heinonline.org/HOL/LandingPage?handle=hein.journals/bahirdjl4&div=14&id=&page=). Retour
    5. Abdi Jibril Ali, « Derogation from Constitutional Rights and Its Implication Under the African Charter on Human and Peoples’ Rights » Law, Democracy & Development, Volume 17(2013) (accessible en anglais sur : https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2399789). Retour