Limitations du droit à la liberté d’expression
Module 3 : Accès à l’Internet
En 2016, le RSNU sur la liberté d’expression a noté que « le blocage des plateformes internet et la fermeture des infrastructures de télécommunications sont des menaces persistantes, car même si elles sont fondées sur la sécurité nationale ou l’ordre public, elles tendent à bloquer les communications de millions de personnes ».(1) Cela constitue une limitation évidente du droit à la liberté d’expression, et peut limiter encore davantage toute une série d’autres droits.
La déclaration commune de 2011 sur la liberté d’expression et l’Internet souligne le caractère flagrant de ces limitations : (2)
(a) Le blocage obligatoire de sites web entiers, d’adresses [de protocole internet (IP)], de ports, de protocoles de réseau ou de types d’utilisation (tels que les réseaux sociaux) est une mesure extrême (analogue à l’interdiction d’un journal ou d’un diffuseur) qui ne peut être justifiée que conformément aux normes internationales, par exemple lorsque cela est nécessaire pour protéger les enfants contre les abus sexuels.
(b) Les systèmes de filtrage de contenu imposés par un gouvernement ou un fournisseur de services commerciaux et qui ne sont pas contrôlés par l’utilisateur final constituent une forme de censure préalable et ne peuvent être justifiés comme une restriction de la liberté d’expression.
(c) Les produits conçus pour faciliter le filtrage par l’utilisateur final devraient être accompagnés d’informations claires à l’intention des utilisateurs finaux sur leur mode de fonctionnement et les pièges potentiels en termes de filtrage trop inclusif.
Les fermetures d’Internet et de télécommunications qui impliquent des mesures visant à empêcher ou à perturber intentionnellement l’accès à l’information en ligne ou sa diffusion constituent une violation de la législation sur les droits de l’homme.(3) Dans la résolution de 2016 des Nations unies sur l’Internet, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a déclaré qu’il « condamne sans équivoque les mesures visant à prévenir ou à interrompre intentionnellement l’accès à l’information en ligne ou sa diffusion, en violation du droit international des droits de l’homme, et appelle tous les États à s’abstenir de prendre de telles mesures et à y mettre fin ».(4)
Comme indiqué dans l’Observation générale n° 34 : (5)
Toute restriction au fonctionnement des sites web, des blogs ou de tout autre système de diffusion de l’information basé sur l’Internet, électronique ou autre, y compris les systèmes de soutien à cette communication, tels que les fournisseurs d’accès Internet ou les moteurs de recherche, n’est autorisée que dans la mesure où elle est compatible avec [l’article 19(3) du PIDCP]. Les restrictions autorisées doivent généralement être spécifiques au contenu ; les interdictions génériques d’exploitation de certains sites et systèmes ne sont pas compatibles avec [l’article 19(3) du PIDCP]. Il est également incompatible avec [l’article 19(3) du PIDCP] d’interdire à un site ou à un système de diffusion de l’information de publier du matériel au seul motif qu’il pourrait être critique envers le gouvernement ou le système politique et social adopté par le gouvernement.
Le RSNU sur la liberté d’expression a noté que les fermetures d’Internet sont souvent ordonnées secrètement et sans fondement juridique, et violent l’exigence selon laquelle les restrictions doivent être prévues par la loi.(6) De même, les fermetures ordonnées en vertu de lois et règlements formulés de manière vague, ou de lois et règlements adoptés et appliqués en secret, ne satisfont pas non plus à l’exigence de légalité. Dans certains pays, cela a conduit le gouvernement à promulguer de nouvelles lois pour permettre expressément des fermetures.(7)
Le RSNU sur la liberté d’expression a en outre noté que les fermetures de réseaux ne répondent invariablement pas au critère de nécessité, et sont généralement disproportionnées. Les États cherchent souvent à justifier cette situation par des raisons de sécurité nationale, qui sont examinées plus loin. Par exemple, le Tchad a bloqué les médias sociaux pendant une période de 472 jours en 2018,(8) ostensiblement pour des raisons de sécurité. Une procédure a été engagée contre deux fournisseurs d’accès Internet,(9) mais l’accès a été rétabli peu après.
Litige sur la fermeture de l’Internet au Cameroun
Media Defence aide actuellement à plaider une affaire devant le Conseil constitutionnel du Cameroun. En janvier 2020, l’Internet a été fermé suite aux protestations contre l’arrestation de dirigeants de la société civile qui résistaient aux efforts du gouvernement pour imposer les systèmes juridiques et éducatifs francophones dans ces régions à prédominance anglophone. L’Internet est resté fermé pendant 93 jours et a été remis en service quelques heures après que Veritas Law ait déposé un recours constitutionnel. Le recours constitutionnel a été lancé pour obliger le gouvernement à rétablir l’Internet et pour que le Conseil constitutionnel puisse empêcher le gouvernement de fermer l’Internet à l’avenir. Plus d’informations ici.
En ce qui concerne le blocage et le filtrage des contenus, il peut en effet y avoir des circonstances dans lesquelles de telles mesures sont justifiables. Par exemple, en ce qui concerne les sites web distribuant de la pornographie enfantine. Ces mesures sont toujours nécessaires pour satisfaire au test en trois parties d’une limitation justifiable. Cela devra être évalué au cas par cas.
De même, des limitations de la neutralité du réseau peuvent également être autorisées dans certaines circonstances, par exemple à des fins légitimes de gestion du réseau. Toutefois, en règle générale, il ne devrait pas y avoir de discrimination dans le traitement des données et du trafic Internet, quels que soient le dispositif, le contenu, l’auteur, l’origine et/ou la destination du contenu, du service ou de l’application.(10) En outre, les intermédiaires Internet doivent être transparents quant aux pratiques de gestion du trafic ou de l’information qu’ils emploient, et les informations pertinentes sur ces pratiques doivent être mises à disposition sous une forme accessible à toutes les parties prenantes.