La retenue préalable dans les affaires de sécurité nationale
Module 9 : Sécurité nationale
Il existe une présomption générale dans le droit international contre la restriction préalable de la liberté d’expression comme étant inutile et disproportionnée, au motif qu’elle a un effet paralysant sur la jouissance du droit à la liberté d’expression. Le principe 23 des principes de Johannesburg prévoit que : « l’expression ne peut être soumise à la censure préalable dans l’intérêt de la protection de la sécurité nationale, sauf en cas de danger public exceptionnel menaçant la vie du pays.»(1) Il est à noter que ce principe reconnaît explicitement que dans les cas où des intérêts de sécurité nationale sont en jeu, il peut y avoir un argument fort en faveur de la nécessité d’intervenir pour arrêter la diffusion d’informations avant leur publication.
Dans un arrêt historique rendu en juin 2020, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a jugé que la fermeture d’Internet de septembre 2017 ordonnée par le gouvernement togolais lors des manifestations en cours dans ce pays était illégale et constituait une atteinte au droit à la liberté d’expression des demandeurs.(2)
C’est également la question à laquelle la Cour suprême des États-Unis a été confrontée dans l’affaire « New York Times Co. v United States »,(3) plus connue sous le nom d’affaire « Pentagon Papers ». Le gouvernement a demandé la restriction préalable de la publication d’une grande réserve de documents (47 volumes) étiquetés « top secret » et ayant fait l’objet d’une fuite du ministère de la Défense.
Ces documents détaillent les décisions qui ont conduit à l’implication des États-Unis dans la guerre du Vietnam et le gouvernement a cherché à empêcher leur publication en raison de prétendus dommages à la sécurité nationale et aux relations avec d’autres pays.
Dans un bref arrêt rejetant la demande de contrainte préalable, la Cour s’est appuyée sur des arrêts antérieurs pour constater que la contrainte préalable ne peut être autorisée que dans des circonstances extrêmes :
Tout système de restriction préalable d’expression est soumis à cette Cour avec une lourde présomption contre sa validité constitutionnelle »… Le gouvernement « porte donc une lourde charge de démontrer la justification de l’imposition d’une telle restriction
Les avis individuels des juges ont développé ce raisonnement. Le juge Hugo Black a fait valoir :
Le mot “sécurité” est une généralité large et vague dont les contours ne doivent pas être invoqués pour abroger la loi fondamentale contenue dans le premier amendement. La protection des secrets militaires et diplomatiques au détriment d’un gouvernement représentatif informé n’offre aucune sécurité réelle… .
La sécurité nationale est également fréquemment invoquée pour justifier une interférence avec l’accès à l’Internet, qui est considérée comme une forme de restriction préalable. Si cet objectif peut, dans des circonstances appropriées, être légitime, on peut également s’appuyer sur celui-ci pour réprimer la dissidence et dissimuler les abus de l’État. (Pour en savoir plus, voir le module 3 de cette série sur l’accès à l’Internet).
La nature secrète de nombreuses lois, politiques et pratiques de sécurité nationale, ainsi que le refus des États de divulguer des informations complètes sur la menace à la sécurité nationale, tendent à exacerber cette préoccupation.