Le « droit à l’oubli »
Module 4 : Vie privée et protection des données
Le « droit à l’oubli » (qui est peut-être mieux décrit comme « le droit d’effacer » ou « le droit d’être rayé de la liste ») implique le droit de demander que les moteurs de recherche commerciaux ou d’autres sites web qui recueillent des informations personnelles à des fins lucratives, comme Google, suppriment les liens vers des informations privées lorsqu’on le leur demande. Le droit à l’oubli progresse par rapport au droit des personnes concernées contenu dans de nombreuses lois sur la protection des données, selon lequel les informations personnelles détenues sur une personne doivent être effacées dans les cas où elles sont inadéquates, non pertinentes ou plus pertinentes, ou excessives par rapport aux objectifs pour lesquels elles ont été collectées.
En 2014, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt important dans l’affaire « Google Espagne contre Gonzalez »,(1) M. Gonzalez, un ressortissant espagnol, a déposé une plainte en 2010 auprès du régulateur espagnol de l’information. La cause de la plainte de M. Gonzalez était que, lorsqu’un internaute saisissait son nom dans le moteur de recherche de Google, il obtenait des liens vers des pages du journal espagnol de 1998 faisant référence à des procédures de saisie à son encontre pour le recouvrement de certaines créances. M. Gonzalez a demandé que les données à caractère personnel le concernant soient supprimées ou dissimulé, car la procédure engagée contre lui a été entièrement résolue et que la référence à lui est donc désormais sans objet.
Devant la CJUE, s’appuyant sur la législation de l’UE en matière de protection des données en vigueur à l’époque, la demande a été confirmée. La CJUE a noté que l’affichage même d’informations personnelles sur une page de résultats de recherche constitue un traitement de ces informations,et qu’il n’y a aucune raison pour qu’un moteur de recherche ne soit pas soumis aux obligations et garanties prévues par la loi. En outre, il a été noté que le traitement des informations personnelles effectué par un moteur de recherche peut affecter de manière significative les droits fondamentaux à la vie privée et à la protection des données à caractère personnel lorsqu’une recherche est effectuée à partir du nom d’une personne, car il permet à tout internaute d’obtenir un aperçu structuré des informations relatives à cette personne et d’établir un profil de celle-ci. Selon la CJUE, l’effet de l’interférence « est renforcé compte tenu du rôle important joué par l’Internet et les moteurs de recherche dans la société moderne, qui rendent l’information contenue dans une telle liste de résultats omniprésente ».
En ce qui concerne la radiation, la CJUE a estimé que la suppression des liens de la liste des résultats pourrait, selon les informations en cause, avoir des effets sur les internautes légitimes potentiellement intéressés à avoir accès à ces informations. Il faudrait pour cela trouver un juste équilibre entre cet intérêt et les droits fondamentaux de la personne concernée, en tenant compte de la nature des informations, de leur sensibilité pour la vie privée de la personne concernée et de l’intérêt du public à disposer de ces informations, qui peut varier en fonction du rôle joué par la personne concernée dans la vie publique.
La CJUE a ensuite estimé qu’une personne concernée est autorisée à demander que les informations la concernant ne soient plus mises à la disposition du grand public par leur inclusion dans une liste de résultats de recherche lorsque, compte tenu de l’ensemble des circonstances, ces informations apparaissent inadéquates, non pertinentes ou non plus pertinentes, ou excessives au regard des finalités du traitement effectué par l’opérateur du moteur de recherche. Dans ces circonstances, les informations et les liens concernés dans la liste des résultats doivent être effacés.
Le droit à l’oubli a également été reconnu dans des contextes nationaux. Par exemple, la Cour suprême de cassation italienne a jugé que l’intérêt du public pour un article diminuait après deux ans et demi, et que les informations sensibles et privées ne devaient pas être accessibles au public indéfiniment.(2) L’affaire est actuellement en cours de litige devant la Cour européenne des droits de l’homme.(3) La Cour de cassation belge a également reconnu le droit à l’oubli.(4)
Il y a cependant des limites à la portée du droit à l’oubli. En 2017, la CJUE a été saisie d’une demande de décision préjudicielle dans l’affaire « Camera di Commercio, Industria, Artigianato e Agricoltura di Lecce contre Salvatore Manni ».(5) M. Manni, s’appuyant sur la décision Gonzalez, a demandé une ordonnance enjoignant à la Chambre de commerce d’effacer, d’anonymiser ou de bloquer toutes les données le liant à la liquidation de sa société contenues dans le registre des sociétés. La CJUE a refusé de faire droit à la demande de M. Manni et a estimé que, compte tenu de l’éventail des utilisations légitimes possibles des données figurant dans les registres des sociétés et des différents délais de prescription applicables à ces registres, il était impossible de déterminer une durée de conservation maximale appropriée. En conséquence, la CJUE a refusé de conclure qu’il existe un droit général à l’oubli des registres publics des sociétés.
En outre, d’autres juridictions ont refusé de défendre un droit à l’oubli face aux moteurs de recherche. Au Brésil, par exemple, il a été jugé que les moteurs de recherche ne peuvent être contraints de supprimer les résultats de recherche relatifs à un terme ou une expression spécifique ;(6) de même, la Cour suprême du Japon a refusé d’appliquer le droit d’être oublié à Google, estimant que la suppression « ne peut être autorisée que lorsque la valeur de la protection de la vie privée l’emporte largement sur celle de la divulgation d’informations ».(7)
Selon les Principes mondiaux pour la liberté d’expression et la protection de la vie privée (Principes mondiaux),(8) le droit (dans la mesure où il est reconnu dans une juridiction particulière) doit être limité au droit des personnes, en vertu de la législation sur la protection des données, de demander aux moteurs de recherche de retirer de la liste les résultats de recherche inexacts ou périmés produits sur la base d’une recherche de leur nom, et doit être limité dans sa portée au nom de domaine correspondant au pays où le droit est reconnu et où la personne a établi un préjudice important. Il précise en outre que les demandes de radiation devraient être soumises à un jugement final par un tribunal ou un organe juridictionnel indépendant ayant une expertise pertinente en matière de liberté d’expression et de législation sur la protection des données.