Retour au site principal

    La surveillance numérique dirigée par le gouvernement

    Module 4 : Vie privée et protection des données

    La surveillance des communications englobe la surveillance, l’interception, la collecte, l’obtention, l’analyse, l’utilisation, la préservation, la conservation, l’interférence, l’accès ou des actions similaires prises en ce qui concerne des informations qui incluent, reflètent, découlent ou concernent les communications d’une personne dans le passé, le présent ou l’avenir.(1) Cela concerne à la fois le contenu des communications et les métadonnées. En ce qui concerne ce dernier point, il a été noté que l’agrégation d’informations (communément appelées « métadonnées ») peut donner un aperçu du comportement, des relations sociales, des préférences privées et de l’identité d’un individu. Pris dans son ensemble, elle peut permettre de tirer des conclusions très précises concernant la vie privée de la personne.

    L’Observation générale n° 16 prévoit que « [l]a surveillance, électronique ou autre, l’interception des communications téléphoniques, télégraphiques et autres, les écoutes téléphoniques et l’enregistrement des conversations devraient être interdits ». La surveillance (qu’il s’agisse de la collecte massive (ou en masse) de données(2) ou de la collecte ciblée de données) interfère directement avec la vie privée et la sécurité nécessaires à la liberté d’opinion et d’expression, et doit être considérée à la lumière du test en trois parties permettant d’évaluer la recevabilité de la restriction.(3) À l’ère numérique, les TIC ont renforcé la capacité des gouvernements, des entreprises et des particuliers à effectuer des opérations de surveillance, d’interception et de collecte de données, et ont permis de ne plus limiter l’efficacité de ces opérations par leur ampleur ou leur durée.

    Dans une résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) sur le droit à la vie privée à l’ère numérique, l’AGNU a souligné que la surveillance et/ou l’interception illégales ou arbitraires des communications, ainsi que la collecte illégale ou arbitraire de données personnelles sont des actes extrêmement intrusifs, qui violent le droit à la vie privée, peuvent interférer avec le droit à la liberté d’expression et peuvent être en contradiction avec les principes d’une société démocratique, y compris lorsqu’ils sont entrepris à grande échelle.(4) Elle a en outre noté que la surveillance des communications numériques doit être conforme aux obligations internationales en matière de droits de l’homme et doit être effectuée sur la base d’un cadre juridique, qui doit être accessible au public, clair, précis, complet et non discriminatoire.

    Afin de satisfaire à la condition de légalité, de nombreux États ont pris des mesures pour réformer leurs lois de surveillance afin de disposer des pouvoirs nécessaires pour mener les activités de surveillance. Selon les principes de nécessité et de proportionnalité, la surveillance des communications doit être considérée comme un acte hautement intrusif, et afin de respecter le seuil de proportionnalité, l’État doit être tenu au minimum d’établir les informations suivantes auprès d’une autorité judiciaire compétente avant de procéder à toute surveillance des communications :

    • Il existe un degré élevé de probabilité qu’un crime grave ou une menace spécifique à un objectif légitime ait été ou sera perpétré.
    • Il est très probable que des éléments de preuve pertinents et matériels concernant une infraction aussi grave ou une menace spécifique à un objectif légitime soient obtenus en accédant aux informations protégées recherchées.
    • D’autres techniques moins invasives ont été épuisées ou seraient futiles, de sorte que la technique utilisée est l’option la moins invasive.
    • L’accès aux informations sera limité à celles qui sont pertinentes et importantes pour le crime grave ou la menace spécifique à un objectif légitime allégué.
    • Toute information excédentaire recueillie ne sera pas conservée, mais sera rapidement détruite ou renvoyée.
    • Les informations ne seront accessibles qu’à l’autorité spécifiée et ne seront utilisées qu’aux fins et pour la durée pour lesquelles l’autorisation a été donnée.
    • Les activités de surveillance demandées et les techniques proposées ne portent pas atteinte à l’essence du droit à la vie privée ou des libertés fondamentales.

    La surveillance constitue une ingérence évidente dans le droit à la vie privée. En outre, elle constitue également une ingérence dans le droit à la liberté d’opinion sans entrave et dans le droit à la liberté d’expression. En ce qui concerne plus particulièrement le droit d’avoir des opinions sans interférence, les systèmes de surveillance, qu’ils soient ciblés ou de masse, peuvent porter atteinte au droit de former une opinion, car la crainte de la divulgation involontaire d’une activité en ligne, telles que la recherche et la navigation, dissuade probablement les individus d’accéder à des informations, en particulier lorsque cette surveillance conduit à des résultats répressifs.

    L’interférence avec le droit à la liberté d’expression est particulièrement évidente dans le contexte des journalistes et des membres des médias qui peuvent être placés sous surveillance en raison de leurs activités journalistiques. Comme l’a fait remarquer le Secrétaire général des Nations unies, cela peut avoir un effet paralysant sur la jouissance de la liberté des médias et rendre plus difficile la communication avec les sources, le partage et le développement des idées, ce qui peut conduire à l’autocensure.(5) L’utilisation du cryptage et d’autres outils similaires sont devenus essentiels au travail des journalistes afin de garantir qu’ils puissent mener leur travail sans interférence.

    La divulgation de sources journalistiques et la surveillance peuvent avoir des conséquences négatives sur le droit à la liberté d’expression en raison d’une violation de la confidentialité des communications d’un individu.(6) Il en va de même pour les cas concernant la divulgation de données d’utilisateurs anonymes. Une fois que la confidentialité est compromise, celle-ci ne peut être rétablie. Il est donc de la plus haute importance que les mesures qui portent atteinte à la confidentialité ne soient pas prises arbitrairement.

    L’importance de la protection des sources a été bien établie. Par exemple, dans l’affaire « Bosasa Operation (Pty) Ltd v Basson and Another », la Haute Cour d’Afrique du Sud a estimé que les journalistes ne sont pas tenus de révéler leurs sources, sous réserve de certaines exceptions.(7) Le tribunal a déclaré à cet égard que :

    Si la liberté de la presse est effectivement fondamentale et une condition sine qua non de la démocratie, il est essentiel que, dans l’exercice de ce devoir public pour le bien public, l’identité de leurs sources ne soit pas révélée, en particulier lorsque les informations ainsi révélées n’auraient pas été connues du public. Ce rôle essentiel et critique des médias, qui est plus prononcé dans notre démocratie naissante, fondée sur l’ouverture, où la corruption est devenue cancéreuse, doit être encouragé plutôt que dénudé.

    Les activités de surveillance menées à l’encontre des journalistes risquent de compromettre fondamentalement la protection des sources à laquelle les journalistes ont par ailleurs droit.(8)

    Notes de bas de page

    1. Necessary and proportionate: International principles on the application of human rights to communications surveillance, 2014 (Principes de nécessité et de proportionnalité) en page 4 (accessible en anglais sur : https://necessaryandproportionate.org/files/2016/03/04/en_principles_2014.pdf). Retour
    2. Des révélations comme celle d’Edward Snowden ont révélé que l’Agence de sécurité nationale aux États-Unis et le quartier général des communications au Royaume-Uni avaient mis au point des technologies permettant d’accéder à une grande partie du trafic Internet mondial, aux relevés d’appels aux États-Unis, aux carnets d’adresses électroniques des particuliers et à d’énormes volumes d’autres contenus de communication numérique. Ces technologies sont déployées par le biais d’un réseau transnational comprenant des relations de renseignement stratégique entre les gouvernements et d’autres acteurs. C’est ce qu’on appelle la surveillance de masse ou massive. Voir le rapport 2016 du HCDH au paragraphe 4. Retour
    3. Rapport du RSNU sur la liberté d’expression à l’AGNU, A/71/373, 6 septembre 2016 (Rapport 2016 du RSNU sur la liberté d’expression) au paragraphe 22 (accessible sur : https://digitallibrary.un.org/record/844396/files/A_71_373-FR.pdf). Retour
    4. AGNU, « Résolution sur le droit à la vie privée à l’ère numérique », A/C.3/71/L.39/Rev.1, 16 novembre 2016 (Résolution de l’ONU sur la vie privée 2016) (accessible sur : https://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/C.3/71/L.39/Rev.1&Lang=F). Retour
    5. Rapport du Secrétaire général des Nations unies à l’Assemblée générale des Nations unies, « Rapport sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité », A/70/290, 6 août 2015 (Rapport du Secrétaire général des Nations unies de 2015), paragraphes 14 à 16 (accessible sur : https://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session30/Documents/A_HRC_30_68_FRE.DOCX). Retour
    6. Pour plus d’informations, voir « Big Brother Watch v United Kingdom in the ECtHR » (2018) (accessible en anglais sur : https://globalfreedomofexpression.columbia.edu/cases/big-brother-watch-v-united-kingdom/) et « amaBhungane Centre for Investigative Journalism v Minister of Justice in South Africa » (2019) (accessible en anglais sur : http://www.saflii.org/za/cases/ZAGPPHC/2019/384.html). Retour
    7. [2012] ZAGPJHC 71, 26 avril 2012 (accessible en anglais sur : http://www.saflii.org/za/cases/ZAGPJHC/2012/71.html). Retour
    8. Selon le principe 9 des Principes mondiaux, les États doivent prévoir la protection de la confidentialité des sources dans leur législation et garantir que :
      – toute restriction du droit à la protection des sources est conforme au test en trois parties du droit international des droits de l’homme.
      – le secret des sources ne doit être levé que dans des circonstances exceptionnelles et uniquement par une décision de justice, qui répond aux exigences d’un objectif légitime, de nécessité et de proportionnalité. Les mêmes protections doivent s’appliquer à l’accès au matériel journalistique.
      – le droit de ne pas divulguer l’identité des sources et la protection du matériel journalistique exigent que la vie privée et la sécurité des communications de toute personne exerçant une activité journalistique, y compris l’accès aux données et métadonnées de ses communications, soient protégées. Les contournements, tels que la surveillance secrète ou l’analyse des données de communication non autorisée par les autorités judiciaires selon des règles juridiques claires et strictes, ne doivent pas être utilisés pour porter atteinte à la confidentialité des sources.
      – toute décision de justice ne doit être rendue qu’après un procès équitable, si le journaliste en question a été prévenu suffisamment à l’avance, sauf en cas d’urgence réelle.
      Retour