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    Responsabilité des intermédiaires

    Module 3 : Accès à l’Internet

    La responsabilité des intermédiaires est engagée lorsque les gouvernements ou les parties privées peuvent tenir les intermédiaires technologiques, tels que les FAI et les sites web, pour responsables des contenus illicites ou préjudiciables créés par les utilisateurs de ces services.(1) Cela peut se produire dans diverses circonstances, notamment en cas de violation des droits d’auteur, de piratage numérique, de litiges relatifs à des marques de commerce, de gestion de réseau, de pollupostage et d’hameçonnage, de « cybercriminalité », de diffamation, de discours de haine, de pornographie enfantine, de « contenu illégal », de contenu offensant, mais légal, de censure, de lois et règlements en matière de radiodiffusion et de télécommunications, et de protection de la vie privée.

    Un rapport publié par l’UNESCO identifie les défis suivants auxquels sont confrontés les intermédiaires : (2)

    • Limiter la responsabilité des intermédiaires pour les contenus publiés ou transmis par des tiers est essentiel à l’essor des services internet qui facilitent l’expression.
    • Les lois, politiques et réglementations qui obligent les intermédiaires à restreindre, bloquer et filtrer les contenus dans de nombreuses juridictions ne sont pas suffisamment compatibles avec les normes internationales des droits de l’homme en matière de liberté d’expression.
    • Les lois, politiques et pratiques relatives à la surveillance gouvernementale et à la collecte de données auprès des intermédiaires, lorsqu’elles ne sont pas suffisamment compatibles avec les normes relatives aux droits de l’homme, empêchent les intermédiaires de protéger adéquatement la vie privée des utilisateurs.
    • Alors que les procédures régulières exigent généralement que l’application de la loi et la prise de décision soient transparentes et accessibles au public, les gouvernements sont souvent opaques quant aux demandes adressées aux entreprises pour la restriction du contenu, la remise des données des utilisateurs et d’autres exigences de surveillance.

    Il est généralement admis que le fait d’exonérer les intermédiaires de toute responsabilité pour les contenus générés par d’autres protège le droit à la liberté d’expression en ligne.  Cette exonération peut être obtenue soit par un système d’immunité absolue de responsabilité, soit par un régime qui ne fixe la responsabilité des intermédiaires qu’après leur refus d’obéir à l’ordre d’un tribunal ou d’un autre organe compétent de retirer le contenu contesté.

    En ce qui concerne ce dernier point, la déclaration commune de 2011 prévoit que les intermédiaires ne devraient être responsables du contenu de tiers que lorsqu’ils interviennent spécifiquement dans ce contenu ou refusent d’obéir à un ordre de retrait adopté conformément aux garanties d’une procédure régulière par un organe de contrôle indépendant, impartial et faisant autorité (tel qu’un tribunal).(3)

    La Cour européenne des droits de l’homme a examiné la responsabilité des intermédiaires dans plusieurs cas :

    • En 2013, dans l’affaire « Delfi AS v Estonia », la CEDH a examiné la responsabilité d’un portail d’information sur Internet pour des commentaires offensants qui ont été publiés par des lecteurs en dessous d’un de ses articles d’information en ligne.(4) Le portail s’est plaint que le fait d’être tenu responsable des commentaires de ses lecteurs violait son droit à la liberté d’expression.  La CEDH a rejeté l’affaire, estimant que la détermination de la responsabilité par les tribunaux nationaux constituait une restriction justifiée et proportionnée de la liberté d’expression parce que les commentaires étaient très offensants ; le portail ne les a pas empêchés de devenir publics, a profité de leur existence et a permis à leurs auteurs de rester anonymes.  Elle a également noté que l’amende imposée par les tribunaux estoniens n’était pas excessive.
    • En 2016, dans l’affaire « Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete and Index.hu Zrt v Hungary », la CEDH a examiné la responsabilité d’un organisme d’autorégulation des fournisseurs de contenu internet et d’un portail d’information sur Internet pour des commentaires en ligne vulgaires et offensants publiés sur leurs sites.(5) La CEDH a réaffirmé que, même s’ils ne sont pas des éditeurs de commentaires au sens traditionnel du terme, les portails d’information sur Internet doivent néanmoins assumer des devoirs et des responsabilités.  La CEDH a estimé que, bien qu’offensant et vulgaire, le commentaire n’avait pas constitué un discours illégal, et a confirmé l’allégation de violation du droit à la liberté d’expression.
    • En 2017, dans l’affaire « Tamiz v United Kingdom », Royaume-Uni, la CEDH a eu à se pencher sur la portée de la responsabilité des intermédiaires.(6) Le requérant, un ancien homme politique du Royaume-Uni, avait prétendu devant les tribunaux nationaux qu’un certain nombre de commentaires de tiers publiés par des utilisateurs anonymes sur le site Blogger.com de Google étaient diffamatoires.  Devant la CEDH, le requérant a fait valoir que son droit au respect de sa vie privée avait été violé parce que les tribunaux nationaux avaient refusé de lui accorder un recours contre l’intermédiaire.  Sa demande a finalement été rejetée par la CEDH au motif que l’atteinte à sa réputation aurait été insignifiante.  La CEDH a souligné le rôle important que jouent les fournisseurs d’accès Internet pour faciliter l’accès à l’information et le débat sur un large éventail de droits politiques, sociaux et culturels, et a semblé approuver l’argument selon lequel les fournisseurs d’accès Internet ne doivent pas être dans l’obligation de surveiller le contenu ou d’enquêter de manière proactive sur les activités diffamatoires potentielles sur leurs sites.

    D’autres tribunaux ont pris des positions plus définitives en matière de responsabilité des intermédiaires.  Par exemple, la Cour suprême de l’Inde a interprété le droit interne comme ne prévoyant la responsabilité de l’intermédiaire que lorsqu’un intermédiaire a eu effectivement connaissance effective d’une décision de justice, ou lorsqu’un intermédiaire a été notifié par le gouvernement qu’un des actes illégaux prescrits par la loi va être commis et que l’intermédiaire a ensuite omis de supprimer ou de désactiver l’accès à ces informations.(7) En outre, la Cour suprême d’Argentine a estimé que les moteurs de recherche n’ont pas l’obligation de contrôler la légalité des contenus de tiers auxquels ils renvoient, notant que ce n’est que dans des cas exceptionnels de « préjudice grave et manifeste » que les intermédiaires pourraient être tenus de désactiver l’accès.(8)

    Compte tenu du rôle essentiel joué par les intermédiaires dans la promotion et la protection du droit à la liberté d’expression en ligne, il est impératif qu’ils soient protégés contre toute ingérence injustifiée (de la part d’acteurs publics et privés) qui pourrait avoir un effet délétère sur ce droit.  Par exemple, étant donné que la capacité et la liberté d’un individu à exercer son droit à la liberté d’expression en ligne dépendent de la nature passive des intermédiaires en ligne, tout régime juridique qui amène un intermédiaire à appliquer une restriction ou une autocensure excessive à l’égard du contenu communiqué par l’intermédiaire de ses services aura en fin de compte un effet négatif sur le droit à la liberté d’expression en ligne.  Le RSNU a noté que les intermédiaires peuvent servir de rempart important contre l’excès d’emprise des gouvernements et du secteur privé, car ils sont généralement les mieux placés pour repousser une fermeture, par exemple.(9) Toutefois, cela ne peut être véritablement réalisé que dans des circonstances où les intermédiaires peuvent le faire sans crainte de sanctions ou de pénalités.

    Notes de bas de page

    1. Alex Comninos, « Theliability of internet intermediaries in Nigeria, Kenya, South Africa and Uganda: An uncertain terrain » (2012), page 6 (accessible en anglais sur : https://www.apc.org/sites/default/files/READY%20-%20Intermediary%20Liability%20in%20Africa_FINAL_0.pdf). Retour
    2. Rebecca MacKinnon et autres, « Fostering freedom online: The role of internet intermediaries » (2003), pages 179 à 180 (accessible en anglais sur : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000231162_eng). Retour
    3. Mécanismes internationaux pour la promotion de la liberté d’expression, « Déclaration commune sur la liberté d’expression et l’Internet », 1er juin 2011 (Déclaration commune 2011) (accessible sur : https://www.achpr.org/public/Document/file/French/declaration_crime_liberte_dexpression.pdf). Retour
    4. Demande n° 64569/09, 10 octobre 2013 (accessible sur : https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-155105%22]}). Retour
    5. Demande n° 22947/13, 2 février 2016 (accessible sur : https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-160314). Retour
    6. Tamiz v United Kingdom, Demande no 3877/14, 19 septembre 2017 (accessible sur : https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-178106). Media Defence, en collaboration avec une coalition d’organisations, a soumis à la CEDH des propositions de principes pour les intermédiaires, basées sur les meilleures pratiques de la législation nationale, les avis du Comité des ministres du Conseil de l’Europe (COE) et des titulaires de mandats spéciaux. Dans l’affaire susmentionnée portée devant la CEDH, Media Defence et une coalition d’autres organisations. Les propositions de principes sont les suivantes :
      – Les intermédiaires ne doivent pas être les arbitres de la légalité des contenus affichés, stockés ou transférés par les utilisateurs de leurs services.
      – En supposant qu’ils n’aient pas contribué au contenu ou manipulé celui-ci, les intermédiaires ne doivent pas être responsables du contenu affiché, stocké ou transféré en utilisant leurs services, à moins et jusqu’à ce qu’ils ne se soient pas conformés à une ordonnance d’un tribunal ou d’un autre organe compétent pour retirer ou bloquer un contenu spécifique.
      – Nonobstant ce qui précède, les intermédiaires ne doivent en aucun cas être responsables des contenus, à moins que ceux-ci n’aient été portés à leur connaissance de telle manière que l’intermédiaire puisse être considéré comme ayant une connaissance effective de l’illégalité de ces contenus.
      – L’obligation de surveiller le contenu en permanence est incompatible avec le droit à la liberté d’expression énoncé à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
      Les soumissions sont accessibles ici https://www.mediadefence.org/sites/default/files/blog/files/20160407%20Tamiz%20v%20UK%20Intervention%20Filing.pdf
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    7. « Shreya Singhal v Union of India », Demande no 167/2012 aux paragraphes 112-118 (accessible en anglais sur : https://www.livelaw.in/summary-of-the-judgment-in-shreya-singhal-vs-union-of-india-read-the-judgment/). Retour
    8. María Belén Rodriguez v Google, Fallo R.522.XLIX (accessible sur : http://www.stf.jus.br/repositorio/cms/portalStfInternacional/newsletterPortalInternacionalJurisprudencia/anexo/Fallo_R.522.XLIX__Corte_Suprema_da_Argentina__28_oct._2014.pdf). La décision a été décrite dans le rapport de 2016 du RSNU sur la liberté d’expression au paragraphe 52. Retour
    9. Rapport du Rapport spécial des Nations Unies (RSNU) sur la liberté d’expression à l’AGNU, A/HRC/35/22, 30 mars 2017 (Rapport du RSNU sur la liberté d’expression de 2017) au paragraphe 8 (accessible sur :  https://digitallibrary.un.org/record/1298717/files/A_HRC_35_22-FR.pdf). Retour