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    La sécurité nationale comme motif de justification

    Module 3 : Accès à l’Internet

    La sécurité nationale est souvent invoquée pour justifier une interférence avec l’accès à l’Internet, ainsi que d’autres interférences avec le droit à la liberté d’expression.(1) Si cet objectif peut, dans des circonstances appropriées, être légitime, il peut également être utilisé pour réprimer la dissidence et dissimuler les abus de l’État.

    La nature secrète de nombreuses lois, politiques et pratiques de sécurité nationale, ainsi que le refus des États de divulguer des informations sur la menace à la sécurité nationale, tendent à exacerber cette préoccupation.  En outre, les tribunaux et autres institutions ont souvent fait preuve de déférence envers l’État pour déterminer ce qui constitue la sécurité nationale. Comme nous l’avons déjà indiqué : (2)

    L’utilisation d’un concept amorphe de sécurité nationale pour justifier des limitations invasives à la jouissance des droits de l’homme est très préoccupante. Le concept est défini au sens large et est donc vulnérable à la manipulation par l’État comme moyen de justifier des actions qui visent des groupes vulnérables tels que les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes ou les militants. Elle sert également à justifier le secret souvent inutile qui entoure les enquêtes ou les activités des services répressifs, ce qui porte atteinte aux principes de transparence et de responsabilité.

    Le principe XIII(2) de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique prévoit que la liberté d’expression ne doit pas être restreinte pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale « sauf s’il existe un risque réel de préjudice à un intérêt légitime et s’il existe un lien de causalité étroit entre le risque de préjudice et l’expression ».

    Comme indiqué dans les Principes de Johannesburg sur la sécurité nationale, la liberté d’expression et l’accès à l’information (les Principes de Johannesburg) : (3)

    (a) Une restriction que l’on cherche à justifier pour des raisons de sécurité nationale n’est légitime que si son but véritable et son effet démontrable sont de protéger l’existence ou l’intégrité territoriale d’un pays contre l’emploi ou la menace de la force, ou sa capacité à répondre à l’emploi ou à la menace de la force, qu’elle provienne d’une source extérieure, comme une menace militaire, ou d’une source intérieure, comme une incitation au renversement violent du gouvernement.

    (b) En particulier, une restriction que l’on cherche à justifier pour des raisons de sécurité nationale n’est pas légitime si son but véritable ou son effet démontrable est de protéger des intérêts sans rapport avec la sécurité nationale, y compris, par exemple, de protéger un gouvernement contre l’embarras ou la révélation d’actes répréhensibles, ou de dissimuler des informations sur le fonctionnement de ses institutions publiques, ou d’ancrer une idéologie particulière, ou de réprimer des troubles industriels

    Le principe 7 va plus loin en indiquant que l’exercice pacifique du droit à la liberté d’expression ne doit pas être considéré comme une menace pour la sécurité nationale ni faire l’objet de restrictions ou de sanctions.

    Un autre principe important contenu dans les Principes de Johannesburg est le principe 23, qui prévoit que « l’expression ne peut être soumise à la censure préalable dans l’intérêt de la protection de la sécurité nationale, sauf en cas de danger public exceptionnel menaçant la vie du pays ».  D’une manière générale, la restriction préalable de l’expression est inadmissible.  Les mesures décrites ci-dessus peuvent souvent donner lieu à une restriction préalable du contenu, et ont donc un effet paralysant sur la jouissance du droit à la liberté d’expression.

    De même, la lutte contre le terrorisme en tant que justification supposée de la fermeture de réseaux ou d’autres interférences avec l’accès à l’Internet doit également être traitée avec prudence.  Comme le souligne l’Observation générale n° 34, les médias jouent un rôle important dans l’information du public sur les actes de terrorisme, et ils doivent être en mesure de s’acquitter sans entrave de leurs fonctions et devoirs légitimes.(4) Si les gouvernements peuvent soutenir que les fermetures d’Internet sont nécessaires pour interdire la diffusion de nouvelles sur les attaques terroristes afin de prévenir la panique ou les imitations, il a été constaté au contraire que le maintien de la connectivité peut atténuer les préoccupations de sécurité publique et aider à faire état de l’ordre public.(5)

    Au minimum, si l’on veut limiter l’accès à l’Internet, il faut que les lois, les politiques et les pratiques sur lesquelles on s’appuie soient transparentes, que les termes « sécurité nationale » et « terrorisme » soient clairement définis et qu’un contrôle indépendant et impartial soit exercé.

    Notes de bas de page

    1. Pour une discussion plus complète sur la sécurité nationale au sens large, voir Richard Carver, « Training Manual on International and Comparative Media and Freedom of Expression Law », pages 77 à 88 (accessible en anglais ici : https://www.mediadefence.org/resources/mldi-manual-on-freedom-of-expression-law/). Retour
    2. Rapport du RSNU sur la liberté d’expression à l’AGNU, A/HRC/23/40, 17 avril 2013 au paragraphe 60 (accessible sur :  https://digitallibrary.un.org/record/756267/files/A_HRC_23_40-FR.pdf). Retour
    3. Principe 2 des Principes de Johannesburg sur la sécurité nationale, la liberté d’expression et l’accès à l’information, novembre 1996 (accessible sur http://hrlibrary.umn.edu/instree/Fjohannesburg.html#:~:text=I%20PRINCIPES%20GENERAUX&text=Toute%20personne%20a%20droit%20%C3%A0,autre%20moyen%20de%20son%20choix). Les principes de Johannesburg ont été élaborés par un groupe d’experts en droit international, en sécurité nationale et en droits de l’homme, réuni en vertu de l’ARTICLE 19. Ils ont été approuvés par le RSNU sur la liberté d’expression de l’époque. Retour
    4. Rapport du Rapport spécial des Nations Unies (RSNU) sur la liberté d’expression à l’AGNU, A/HRC/35/22, 30 mars 2017 (Rapport du RSNU sur la liberté d’expression de 2017) au paragraphe 8 (accessible sur :  https://digitallibrary.un.org/record/1298717/files/A_HRC_35_22-FR.pdf). Retour