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    Existe-il un droit à l’Internet en vertu du droit international

    Module 3 : Accès à l’Internet

    Un droit explicite à l’Internet n’a pas encore été reconnu dans un traité international ou un instrument similaire.  Cela a été la source de nombreux débats, et les arguments pour et contre le droit d’accès à l’Internet sont nombreux.

    Arguments en faveur de l’accès à l’Internet en tant que droit de l’homme (1) Arguments contre l’accès à l’Internet en tant que droit de l’homme
    Nécessité. Il existe un certain consensus non seulement sur l’utilité de l’Internet, mais aussi sur son rôle crucial en tant « qu’outil indispensable » pour les droits de l’homme et le développement au cours du siècle actuel. Aucun traité international ne crée directement un droit d’accès à l’Internet, bien que certains pays, principalement en Europe, aient une législation nationale qui le fait. En termes simples, il ne s’agit pas d’un droit de l’homme si la communauté internationale ne l’a pas reconnu comme tel dans un instrument contraignant, et qu’il n’y a pas de discussion sur un nouveau traité pour le faire dans un quelconque forum.
    Existence implicite dans le droit international actuel des droits de l’homme. Le plein exercice de la liberté d’expression, la participation à la vie culturelle et la jouissance des bienfaits scientifiques nécessitent l’accès à l’Internet. Les niveaux de vie actuels incluent la participation à la communauté au sens large de différentes manières, par exemple par la connexion à l’Internet. Analogie avec d’autres formes de medias.. Il n’y a pas de droit au téléphone, à la télévision, à la presse écrite (que ce soit pour la publier ou la recevoir) ou à tout autre média similaire qui a imposé aux États l’obligation de le fournir à leurs citoyens et d’en couvrir les coûts.
    Inévitable. Plusieurs pays, dont la Grèce, l’Estonie, la Finlande, l’Espagne, le Costa Rica et la France, ont affirmé ou reconnu un certain droit d’accès dans leur constitution, leur code juridique ou leurs décisions judiciaires. Ces documents sont plus facilement accessibles en ligne. Universalité. L’accès à l’Internet n’est pas un droit économique qui peut être interprété à partir de l’article 11 du PIDESC et de l’article 25 de la DUDH, car ils sont représentatifs de niveaux de vie qui ne peuvent être considérés à la même échelle pour des pays ayant des stades de développement très différents
    Inséparabilité. Les progrès technologiques modifient la manière dont les gens jouissent de leurs droits et les gouvernements doivent se pencher sur le lien entre ces droits et leurs méthodes actuelles de jouissance. La nature comme un droit. Même s’il y a une considération juridique de l’accès, il est établi non pas comme un droit individuel, mais comme une obligation pour les États.
    Progression. La notion de droits elle-même a la capacité de changer, à mesure que les contextes sociaux évoluent. L’importance croissante de l’Internet dans des contextes sociaux changeants rend nécessaire d’en assurer l’accès. Moyens de parvenir à une fin. L’accès à l’Internet est constitué par une technologie, qui est un outil, et non un droit en soi.
    Soutien du public. Les enquêtes mondiales montrent une seule attitude prédominante à l’égard de l’accès à l’Internet : que celui-ci doit être reconnu comme un droit. (2) L’accès à l’Internet n’est pas absolument nécessaire pour participer à une communauté politique. Une grande partie de la population mondiale n’a pas accès à l’Internet. Ce n’est que lorsque cette participation existe déjà et qu’elle est supprimée qu’elle attire l’attention.
    Inflation. Prétendre qu’un intérêt est un droit fondamental ou de l’homme, sans tenir compte des conditions dans lesquelles il peut réellement être réalisé, gonfle le nombre de droits, diminuant la force des principaux droits de l’homme traditionnels.
    Flexibilité des droits de l’homme existants. Il n’est pas nécessaire de « créer » de nouveaux droits en plus de ceux déjà reconnus, mais de garantir leur exercice et leur jouissance dans des contextes technologiques changeants.
    Effets secondaires. Les politiques d’inclusion numérique comportent des préoccupations concernant le véritable bénéficiaire. D’une part, les politiques d’accès profiteront aux utilisateurs qui disposent de dispositifs permettant d’accéder à l’Internet, ce qui exacerbe les inégalités. D’autre part, l’absence de contrôle des gouvernements entraînerait la nécessité d’investir dans des entreprises de télécommunications privées, leur accordant ainsi un avantage économique avant les citoyens.

    Il est de plus en plus reconnu que l’accès à l’Internet est indispensable à la jouissance d’un ensemble de droits fondamentaux.  Le corollaire est que ceux qui n’ont pas accès à l’Internet sont privés de la pleine jouissance de ces droits, ce qui, dans de nombreux cas, peut exacerber des divisions socio-économiques déjà existantes.  Par exemple, un manque d’accès à l’Internet peut empêcher un individu d’obtenir des informations clés, de faciliter le commerce, de rechercher un emploi ou de consommer des biens et des services.

    L’accès comporte deux dimensions distinctes, mais interdépendantes : (i) la possibilité de voir et de diffuser du contenu en ligne ; et (ii) la possibilité d’utiliser l’infrastructure physique pour permettre l’accès à ce contenu en ligne.  En 2003, l’UNESCO a été l’un des premiers organismes internationaux à appeler les États à prendre des mesures pour réaliser un droit d’accès à l’Internet.  À cet égard, elle a déclaré que : (3)

    Les États membres et les organisations internationales doivent promouvoir l’accès à l’Internet en tant que service d’intérêt public par l’adoption de politiques appropriées afin de renforcer le processus d’autonomisation de la citoyenneté et de la société civile, et en encourageant la mise en œuvre appropriée de ces politiques et le soutien à celles-ci dans les pays en développement, en tenant dûment compte des besoins des communautés rurales.

    … Les États membres doivent reconnaître et promulguer le droit d’accès en ligne universel aux documents publics et détenus par les pouvoirs publics, y compris les informations pertinentes pour les citoyens dans une société démocratique moderne, en tenant dûment compte des préoccupations en matière de confidentialité, de respect de la vie privée et de sécurité nationale, ainsi que des droits de propriété intellectuelle dans la mesure où ils s’appliquent à l’utilisation de ces informations. Les organisations internationales doivent reconnaître et promulguer le droit pour chaque État d’avoir accès aux données essentielles relatives à sa situation sociale ou économique ».

    En 2012, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDHNU) a adopté une importante résolution qui « appelle tous les États à faciliter l’accès à l’Internet et la coopération internationale visant à développer les médias et les moyens de communication de l’information dans tous les pays ».(4)

    Les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies reconnaissent que « la diffusion des technologies de l’information et des communications et l’interconnexion mondiale offrent un potentiel considérable pour accélérer le progrès humain, combler la fracture numérique et développer des sociétés de la connaissance ».(5) Les ODD appellent en outre les États à renforcer l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) et d’autres technologies habilitantes pour promouvoir l’autonomisation des femmes, et à s’efforcer de fournir un accès universel et abordable à l’Internet dans les pays les moins avancés d’ici 2020.

    La résolution des Nations unies sur l’Internet de 2016, adoptée par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, reconnaît que l’Internet peut accélérer les progrès vers le développement, y compris dans la réalisation des ODD, et affirme l’importance d’appliquer une approche fondée sur les droits pour fournir et étendre l’accès à l’Internet.(6) Elle affirme notamment l’importance d’appliquer une approche globale fondée sur les droits pour fournir et élargir l’accès à l’Internet, et appelle les États à envisager de formuler et d’adopter des politiques publiques nationales liées à l’Internet, dont l’objectif central est l’accès universel et la jouissance des droits de l’homme.

    Que l’Internet soit considéré comme un droit autonome ou comme un outil permettant de faciliter la réalisation d’autres droits, les bases ont été fermement jetées pour la nécessité de réaliser l’accès universel à l’Internet.  Les États sont simultanément tenus de prendre des mesures pour atteindre l’accès universel.  Cependant, en réalité, l’accès universel à l’Internet est loin d’être réalisé.  Cela est dû à une confluence de facteurs, notamment le manque de ressources financières pour pouvoir accéder à l’Internet, l’inadéquation des contenus pertinents au niveau local, les niveaux insuffisants de culture numérique et le manque de volonté politique pour en faire une priorité.

    Dans l’affaire « Kalda v Estonia », la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a estimé que le droit à la liberté d’expression du requérant avait été violé par le refus d’une prison de lui donner accès à des sites Internet contenant des informations juridiques, car cela avait violé son droit à recevoir des informations.(7) La Cour européenne des droits de l’homme a noté que lorsqu’un État est disposé à permettre aux prisonniers d’accéder à l’Internet, comme dans l’affaire en question, celui-ci doit donner des raisons pour refuser l’accès à des sites spécifiques.(8)

    Notes de bas de page

    1. Juan Carlos Lara, « Internet access and economic, social and cultural rights », Association pour le progrès des communications (septembre 2015), pages 10 à 11 (accessible en anglais sur : https://www.apc.org/sites/default/files/APC_ESCR_Access_Juan%20Carlos%20Lara_September2015%20%281%29_0.pdf). Voir également le Rapport 2019 du groupe de haut niveau du secrétaire général des Nations unies sur la coopération numérique, qui note que « les droits de l’homme universels s’appliquent aussi bien en ligne que hors ligne ; la liberté d’expression et de réunion, par exemple, n’est pas moins importante dans le cyberespace que sur l’espace public », page 16 (accessible en anglais sur : https://www.un.org/en/pdfs/DigitalCooperation-report-for%20web.pdf). Dans l’affaire « Delfi v Estonia », la Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’Internet constituait une plateforme sans précédent pour l’exercice du droit à la liberté d’expression (accessible en anglais sur : https://globalfreedomofexpression.columbia.edu/cases/delfi-as-v-estonia/). Retour
    2. The Internet Society, « Global Internet User Survey 2012 » (2012) (accessible en anglais sur : https://wayback.archive-it.org/9367/20170907075228/https://www.internetsociety.org/sites/default/files/rep-GIUS2012global-201211-en.pdf). Retour
    3. UNESCO, « Recommandation sur la promotion et l’usage du multilinguisme et l’accès universel au cyberespace », paragraphes 7 et 15 (accessible sur : http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=17717&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html). Retour
    4. CDHNU, « Résolution portant sur la promotion, la protection et l’exercice des droits de l’homme sur Internet », A/HRC/20/L.13, 29 juin 2012, paragraphe 2 (accessible sur : https://digitallibrary.un.org/record/845728/files/A_HRC_32_L-20-FR.pdf). Ce point a été développé l’année suivante dans la « Résolution portant sur la promotion, la protection et l’exercice des droits de l’homme sur Internet » du CDHNU, A/HRC/Res/26/13, 14 juillet 2014 (accessible sur : https://hrlibrary.umn.edu/hrcouncil_res26-13.pdf). Retour
    5. AGNU, « Transformer notre monde : le programme de développement durable à l’horizon 2030 », A/Res/70/1, 21 octobre 2015 au paragraphe 15 (accessible sur https://digitallibrary.un.org/record/809145?ln=fr). Retour
    6. CDHNU, « Résolution portant sur la promotion, la protection et l’exercice des droits de l’homme sur Internet », A/HRC/Res/32/13, 18 juillet 2016, paragraphe 2 (accessible sur : https://digitallibrary.un.org/record/845728/files/A_HRC_32_L-20-FR.pdf). Retour
    7. Demande n° 17429, 19 janvier 2016 (accessible en anglais sur : https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-160270). Retour
    8. Même endroit au paragraphe 53. Dans la décision ultérieure de « Jankovskis v Lithuania », Demande no 21575/08, 17 janvier 2017 (accessible sur : https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-170354), également relative à un prisonnier qui s’était vu refuser l’accès à un site web contenant des informations liées à l’éducation, la CEDH a de nouveau confirmé le grief de violation du droit à la liberté d’expression formulé par le requérant. Retour