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Les lois sur les “fake news” sont-elles le meilleur moyen de lutter contre la désinformation?

Les lois sur les “fake news” sont-elles le meilleur moyen de lutter contre la désinformation?

En décembre 2021, la Grèce a rejoint la liste croissante des pays qui légifèrent contre les “fausses nouvelles” (ou « fake news » en anglais). La modification du code pénal vise à poursuivre les citoyens grecs qui diffusent de fausses informations pendant la pandémie de COVID-19. Tout citoyen diffusant de fausses informations sur la santé publique risque jusqu’à 5 ans d’emprisonnement. Cette mesure, ainsi que d’autres semblables dans le monde, a alarmé les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme. Après tout, qui décide de ce qui constitue une “fausse nouvelle”? Et qu’est-ce qui empêche cette nouvelle législation de devenir un outil de censure institutionnalisée?

Mésinformation contre désinformation

S’attaquer à la désinformation est d’autant plus difficile que le concept est difficile à définir.

Parfois décrites comme des “fake” ou des “fausses nouvelles”, ces histoires trompeuses peuvent prendre de nombreuses formes. Ces termes recouvrent des histoires entièrement fabriquées, ainsi que d’autres qui omettent des détails pertinents ou ne présentent qu’un seul point de vue. Certaines histoires peuvent contenir un fond de vérité, mais omettre des informations contextuelles essentielles qui les rendent trompeuses. Parfois, la “désinformation” comprend même des parodies ou des satires, qui peuvent induire en erreur si les lecteurs prennent leur message pour argent comptant.

La principale distinction entre la “désinformation” et la “mauvaise information” ou « mésinformation » est son objectif. La “mauvaise information” est généralement une information inexacte que les gens écrivent et diffusent par inadvertance, alors que l’intention même de la “désinformation” est de tromper. La “désinformation” est une arme et peut être associée à une ingérence étrangère. La législation sur les fausses nouvelles fait rarement la distinction, cependant, et cette ambiguïté la rend ouverte aux abus.

Les méfaits de la désinformation

Ces dernières années, nous avons assisté à une augmentation inquiétante de la désinformation. Facilitée par ‘internet et les réseaux sociaux, des personnes sont en mesure de partager des histoires inventées facilement et rapidement. Le partage de fausses informations en ligne peut avoir une grande influence, du cours des actions aux élections en passant par les troubles politiques et sociaux.

Ce phénomène a été particulièrement visible lors de la pandémie de COVID-19, lorsque la désinformation autour du virus était courante. Décrite comme “infodémie”, l’augmentation rapide des informations inexactes a sapé les efforts des autorités sanitaires pour combattre le virus. Cela a eu des conséquences graves, voire mortelles.

Fin mars 2020, des rumeurs ont commencé à circuler sur des médicaments potentiels et des remèdes non prouvés. Au Nigéria, des hospitalisations dues à un empoisonnement à l’hydroxychloroquine ont incité les responsables de la santé de l’État de Lagos à mettre en garde contre l’utilisation de ce médicament. Et aux États-Unis, suite aux tweets du président Trump, un couple a bu une bouteille de nettoyant pour aquarium dans l’espoir d’éviter l’infection. Tous deux sont tombés gravement malades et le mari est décédé peu après.

En Iran, par exemple, la désinformation a conduit des milliers de personnes à ingérer du méthanol comme remède au virus. En conséquence, l’empoisonnement à l’alcool a tué plus de 700 personnes et rendu aveugles 90 autres. Et tandis que des affirmations non fondées sur de prétendus “remèdes” se répandaient rapidement sur Internet, la foi dans les vaccins sûrs et efficaces contre le COVID-19 a chuté. Une étude menée en Australie a révélé que 24,3% des participants hésitaient ou refusaient de se faire vacciner contre le COVID-19. Parmi eux, 89% étaient préoccupés par l’efficacité et la sécurité du vaccin, et 27 % ne pensaient pas qu’un vaccin contre le COVID-19 était nécessaire.

Légiférer sur la désinformation

La réglementation relative aux fausses nouvelles et à la mésinformation fait l’objet d’un débat permanent. La législation est-elle nécessaire pour protéger les citoyens des informations trompeuses, ou porte-t-elle atteinte au droit à la liberté d’expression?

En mars 2017, l’ONU et les organismes régionaux de défense des droits de l’homme ont publié la Déclaration conjointe sur la liberté d’expression et les “fausses nouvelles”, la désinformation et la propagande. La Déclaration a estimé que la criminalisation du partage d’informations fondées sur des idées vagues et ambiguës, comme les “fausses nouvelles”, est incompatible avec les normes internationales relatives aux restrictions de la liberté d’expression.

En dépit de la Déclaration conjointe, de nombreux gouvernements ont adopté des lois sévères sur les “fausses nouvelles” en réponse au problème. Par exemple, à la suite de l’épidémie, l’Afrique du Sud a approuvé des réglementations vagues et générales criminalisant les contenus trompeurs sur la pandémie ou les mesures prises par le gouvernement pour répondre au COVID-19. Au début de l’année 2021, le gouvernement malaisien a utilisé des pouvoirs d’urgence pour adopter une loi sur les “fake news” après l’abrogation de tentatives antérieures. La réglementation, entrée en vigueur en janvier, prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans pour la publication ou le partage d’informations “totalement ou partiellement fausses” sur la pandémie ou l’état d’urgence.

Notre rôle

Certaines lois sur les fausses nouvelles entravent sans aucun doute le travail des journalistes et ont un effet paralysant sur la liberté d’expression. Dans la mesure du possible, nous contestons ces lois au niveau national et régional.

En décembre 2014, un juge de la Haute Cour zambienne a annulé les dispositions de l’article 67 du Code pénal, qui interdisait la publication de “fausses nouvelles”. En substance, cette loi obligeait les journalistes à vérifier l’exactitude de toute déclaration, qu’il s’agisse de la leur ou de celle d’autrui, avant de pouvoir la rapporter. Avec notre soutien, l’avocat Marshal Muchende a réussi à faire valoir que cette loi constituait une grave entrave à la liberté de la presse. Vous pouvez en savoir plus sur cette décision ici.

Plus récemment, la Cour de justice de la CEDEAO a rendu un arrêt historique dans l’affaire de la Fédération des journalistes africains et autres contre la Gambie. La Cour a estimé que les autorités de l’État avaient violé les droits de quatre journalistes gambiens en vertu de lois sur les fausses nouvelles.  Elle a constaté que les agents de sécurité avaient arbitrairement arrêté, harcelé et détenu les journalistes. En raison de leurs reportages, nombre d’entre eux ont été contraints à l’exil par crainte de persécutions.

Parallèlement à notre approche principale, qui consiste à mener des actions stratégiques visant à faire déclarer ces lois anticonstitutionnelles, nous soutenons également des individus. En 2021, nous avons finançé la défense d’urgence de journalistes accusés de propager de fausses nouvelles au Bangladesh, au Rwanda, au Cameroun et en Pologne.

L’éducation, pas la législation

La lutte efficace contre la désinformation reste une question contemporaine urgente, et des juristes, des universitaires et des militants proposent divers remèdes. Quelle que soit l’approche adoptée, il est essentiel d’endiguer la désinformation sans porter atteinte à la liberté d’expression.

De plus en plus, les gouvernements se tournent vers des stratégies sociales et éducatives pour combattre la désinformation. Ils évitent ainsi les dispositions législatives générales qui criminalisent ou portent atteinte au droit à la liberté d’expression. Prenons l’exemple de la Finlande, récemment classée comme la nation européenne la plus résistante aux fake news. Le pays a commencé à enseigner aux enfants comment identifier les fausses nouvelles à l’école primaire par le biais de l’éducation aux médias et à l’information. Pour renforcer ces compétences, les écoles secondaires ont introduit l’éducation à l’information multiplateforme en 2016. Une forte pensée critique est une composante essentielle et transversale d’un programme scolaire national. D’autres pays, comme le Nigeria, le Canada et les Pays-Bas, adoptent des approches similaires.

Nous constatons également un investissement croissant dans la vérification des faits. Au cours de la dernière décennie, des vérificateurs de faits indépendants ou « fact-checkers » ont vu le jour dans plus de 50 pays sur tous les continents. Selon le décompte mondial le plus fiable, 113 groupes de ce type sont actifs aujourd’hui.

En 2019, nous avons uni nos forces à celles de l’International Fact-Checking Network et du Reporters Committee for Freedom of the Press pour offrir un nouveau soutien aux fact-checkers. Alors que la demande de vérification des faits augmente, il en va de même pour les abus et le harcèlement auxquels les vérificateurs de faits indépendants sont confrontés. Ce partenariat a contribué à garantir que les vérificateurs de faits puissent continuer à faire leur travail, en fournissant un soutien juridique et en publiant des guides pour aider à naviguer et à atténuer les menaces émergentes.

Conclusion

L’avènement d’internet a facilité la diffusion de fausses nouvelles, à la fois plus rapidement et plus largement que jamais auparavant. Ces fausses informations peuvent alimenter la polarisation politique, avoir un impact sur les élections et perturber la santé publique. Pourtant, il est essentiel que nous évitions une législation de grande portée qui viole le droit à la liberté d’expression.

Le juge associé de la Cour suprême des États-Unis, Anthony Kennedy, dans sa décision majoritaire dans l’affaire United States v Alvarez, a déclaré que “[l]e remède au discours faux est le discours vrai.  C’est le cours normal dans une société libre”. Les stratégies d’éducation aux médias et à l’information, associées à la vérification des faits et à la publication de contre-récits, restent l’avant-garde principale dans la lutte pour la vérité.

Pour en savoir plus sur les fausses nouvelles, la désinformation et la propagande, cliquez ici.

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